Nirvana VS Coldplay
Les fans de Nirvana couchent-ils plus facilement le premier soir que ceux de Coldplay ? Pas forcément...
Déclarez dans une soirée que les fans de Nirvana sont plus "libéré(e)s" que les fans de Coldplay, et on vous rira au nez. Exhibez quelques chiffres et un joli graphique à l'appui de vos dires, et vos propos seront repris partout sur le Net, à commencer par le site des Inrocks.
C'est en substance le joli coup médiatique que vient de réussir un site de rencontres. Dans un billet posté sur leur blog dix-sept ans quasiment jour pour jour après la mort de Kurt Cobain, ils affirment avoir demandé à 408 de leurs membres jusqu'où ils étaient prêts à aller le premier soir. Trois réponses étaient proposées : 1) "je le rencontrerai seulement pour parler" ; 2) "peut-être un baiser" ; 3) "la totale, si affinités". Ils ont ensuite décerné un score à chacun des 20 artistes dont ces personnes sont fans, en comptant 1 point pour la première réponse, 2 points pour la deuxième et 3 pour la troisième et en établissant une moyenne pour chaque artiste.
A ce petit jeu, Nirvana obtiendrait le meilleur score (2,45) et Coldplay le pire (2,10), et nos statisticiens en herbe en concluent que les fans de Nirvana sont plus enclins que les fans de Coldplay à coucher le premier soir. Ce qui n'est pas forcément vrai, nous allons vous le montrer, avec l'aide de Guillemette Reviron, docteur en mathématiques et membre fondateur du Cortecs (notre partenaire désinformation), qui a eu la gentillesse de valider nos arguments.
En effet, même en admettant que cette étude ait réellement été faite, ce qui est loin d'être prouvé, elle présente un défaut de taille : les scores qu'elle décerne n'ont tout bonnement aucun sens.
Cela tient au fait que les chiffres attribuées aux 3 choix possibles sont arbitraires : ils ne sont pas intrinsèquement liés aux actions évoquées, si bien qu'on pourrait les changer sans problèmes en rajoutant d'autres choix, par exemple l'option "accepter de dîner" entre "juste parler" et "embrasser" (qui deviendrait du coup le choix 3 à la place de "coucher").
Du coup, il n'y a pas de vrai lien numérique entre ces différents niveaux : considéreriez-vous que parler 3 fois avec une personne revient à coucher avec elle ? Probablement pas. Il n'y a de fait aucune raison de faire une moyenne sur ces variables dites ordinales : pour ce type de variable, il est plus pertinent d'utiliser une médiane.
Et quand bien même on serait dans une situation où l'utilisation de la moyenne serait valable, par exemple en comptabilisant le nombre de baisers échangés le premier soir, elle n'aurait aucun sens si l'on n'inclut pas dans les résultats une mesure de la dispersion des données (la façon dont elles se répartissent autour de la moyenne), via par exemple l'écart-type. Tous les professeurs le savent : ce n'est pas la même chose d'avoir une classe de 30 élèves ayant chacun 10 de moyenne que d'avoir 15 élèves à 5 de moyenne et 15 à 15 de moyenne, alors que la moyenne de la classe est 10 dans les deux cas.
Pour fixer les choses, examinez le cas suivant : Nirvana et Coldplay ont chacun 20 fans ; 9 fans de Nirvana sont prêts à accorder 3 baisers le premier soir et 11 seulement 2, tandis que 11 fans de Coldplay vont jusqu'à 3 et 9 s'arrêtent à 1. Coldplay fait un score de 2,10 et Nirvana un score de 2,45, soit une différence de 0,35 (exactement comme dans l'étude), mais l'écart-type de ces moyennes est respectivement de 0,99 et 0,50.
Autrement dit, la dispersion des données étudiées est bien trop forte pour que la comparaison entre les moyennes soit significative : d'ailleurs, dans ce cas, on constate que 55 % des fans de Coldplay (11/20) sont prêts à 3 baisers le premier soir, contre 45 % des fans de Nirvana (9/20) !
Qui plus est, comme le fait remarquer Guillemette Reviron : "quand bien même ce résultat mettrait en évidence une corrélation entre les deux variables, cela n'impliquerait pas un lien de causalité." C'est ce qu'on appelle l'effet-cigogne : ce n'est pas parce que les cigognes nichent dans les communes ayant le plus fort taux de natalité que ce sont elles qui apportent les bébés.
Sérieuse ou pas, cette "étude" n'est donc ni correcte ni concluante, mais le pire n'est peut-être pas là.
En ces temps où le sexisme latent montre le bout de son nez, comment en effet ne pas trouver avec Guillemette Reviron que cette "étude" "repose sur une vision très normative de la sexualité et des relations affectives et sensuelles entre individu-e-s" ? En effet, "pourquoi "dévaloriser" ceux qui ne couchent pas le premier soir ? Pourquoi le fait d'échanger toute une soirée sur Nirvana ou sur les derniers hoax en date vaudrait "moins" qu'une relation sexuelle ?" Et "pourquoi, "après" le bisou, mettre toutes les pratiques sexuelles dans la même catégorie ?" Répondre à ces questions n'étant pas le propos d'HoaxBuster, nous nous contenterons donc de les poser...
hoaxbuster
Rédacteur Hoax