Macron et Castaner devant la Cour Pénale Internationale ?
Des publications sur les réseaux sociaux affirment qu’une plainte a été déposée contre Emmanuel Macron et Christophe Castaner, pour crime contre l’humanité, devant la Cour Pénale Internationale (CPI).
Des publications sur les réseaux sociaux affirment qu’une plainte a été déposée contre Emmanuel Macron et Christophe Castaner, pour crime contre l’humanité, devant la Cour Pénale Internationale (CPI), et déclarée recevable. Cette plainte aurait été déposée par Francis Lalane, et deux avocats : Maitre Ghislain Mabanga et Maître Sophia Albert Salmeron. Cette dernière affirme dans une vidéo avoir eu , pour ce faire, rendez-vous avec le Procureur de la CPI en juin 2019.
Cette information est reprise par de nombreux sites, (dont Sputnik, entre autres) sans aucune vérification ni preuve, et surtout, avec de nombreuses erreurs juridiques flagrantes.
Il y a donc du vrai et du faux.
Examinons cela de près.
Le déplacement de Francis Lalane à la Haye pour déposer cette plainte ne semble pas avoir été relayé autrement qu’a posteriori, par Maitre Albert Salmeron.
Ce qui est vrai, en revanche c’est que Maitre Mabanga, le second avocat est bien accrédité auprès de la CPI.
Pour autant y a-t-il plainte, et a-t-elle été déclarée recevable ? Non
Un particulier peut-il porter plainte ?
Fonctionnellement non (Cf Statut de la CPI, Articles 13 et 14), une « situation » peut être déférée à la Cour par le Conseil de Sécurité, le Procureur, ou bien renvoyée par l’un des États Parties.
En revanche, rien n’interdit à un groupe de personnes d’adresser au bureau du Procureur des documents et des preuves dans l’espoir que le Procureur décide de saisir la Cour.
C’est ce qui semble avoir été fait ici.
Pas de plainte par Francis Lalane, donc.
Mais peut-on affirmer que la démarche a été déclarée recevable ?
Non plus.
Le document ci-dessus, tout comme le numéro de référence qu’il comportent sont un simple numéro de dossier. C’est une référence sous laquelle sont regroupés les documents relatifs au même sujet.
Mais, comme ce document l’indique, le dépôt de documents ne signifie pas forcément qu’une enquête va être ouverte et que des poursuites vont être lancées. Cela reste une décision souveraine du procureur.
La CPI serait-elle compétente ?
La France a signé et ratifié , donc en théorie oui.
Voici d'ailleurs une liste des Etats ayant fait de même.
Pour ce qui concerne la France, cette démarche a d’ailleurs été autorisé après modification de la constitution (Article 53-2)
Toutefois, il faut distinguer la situation du Président et celle des ministres. Leur responsabilité pénale n’est pas la même.
Le Président
La responsabilité pénale du Président est régie par l’article 67 de la Constitution, qui renvoie aux article 53-2 et 68. En termes simples, le Président de la République ne peut être jugé, au cours de son mandat, que par la Cour Pénale Internationale. Il ne peut même pas faire l’objet d’une enquête ou action d’information pour les actes commis en qualité de Président.
Il est d’ailleurs précisé à l’article 67 alinéa 3 que « Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions. »
Pas d’immunité sans limite, donc.
Il peut être destitué en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » (Article 68 ).
Les membres du gouvernement
La responsabilité pénale des membres du gouvernement (Ministres ou secrétaires d’Etat) fait l’objet des articles 68-1 à 68-3 de la Constitution.
Il y est notamment écrit :
« Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis.
Ils sont jugés par la Cour de justice de la République. »
« Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du Gouvernement dans l'exercice de ses fonctions peut porter plainte auprès d'une commission des requêtes.
Cette commission ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au procureur général près la Cour de cassation aux fins de saisine de la Cour de justice de la République. »
Si on résume : immunité du Président durant son mandat et jusqu’à 1 mois après sa cessation de fonctions ; responsabilité pour les membres du gouvernement.
Il faut toutefois ajouter un point.
Le Préambule du statut de Rome, alinéa 10, énonce « Soulignant que la cour pénale internationale dont le présent Statut porte création est complémentaire des juridictions pénales nationales, »
Cela signifie une chose. Si Monsieur Lalane ne s’est pas adressé à la commission des requêtes mentionnée plus haut, il y a des chances que la CPI se déclare incompétente pour juger des faits visant Christophe Castaner.
Par ailleurs, des policiers ont été sanctionnés pour actes de violences, parfois à la suite d’une saisine de l’IGPN. Cela nous est rapporté notamment par France Inter LCI et Sud-Ouest
Cependant, la démarche a-t-elle des chances d’aboutir ?
Probablement pas, essentiellement pour des questions de recevabilité sur le fond.
Recevabilité.
Qu’est-ce que la recevabilité d’une action en droit ? Il faut distinguer la forme et le fond.
Sur la forme, c’est le fait pour cette démarche d’être présentée dans les bonnes formes, dans les délais et par une personne en ayant la possibilité.
Cela ne préjuge en rien de la recevabilité au fond : le fait de savoir si les faits présentés sont suffisamment graves et que rien ne s’oppose à leur examen.
Or, l’article 17-1 alinéa d) du statut de la Cour Pénale Internationale dit la chose suivante :
1. Eu égard au dixième alinéa du préambule et à l’article premier, une affaire est jugée irrecevable par la Cour lorsque :
[...]
d) L’affaire n’est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite.
D’ailleurs, le dossier relatif à la France n’en est même pas au stade de l’examen préliminaire. Ce qui signifie qu’aucune enquête du procureur n’a été ouverte sur la base des documents transmis à ce jour.
Un examen préliminaire ne signifie d’ailleurs pas forcément des poursuites, comme nous le montre l’exemple du Honduras
Mais revenons à l'incrimination choisie
Qu’est-ce qu’un crime contre l’Humanité ?
Il est défini par l’article 7 du statut de la CPI , dont le 1er § dit :
« Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :
a) Meurtre ;
b) Extermination ;
c) Réduction en esclavage ;
d) Déportation ou transfert forcé de population ;
e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ;
f) Torture ;
g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;
h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;
i) Disparitions forcées de personnes ;
j) Crime d’apartheid ;
k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. »
Les gilets jaunes ne manquent pas d’en extraire, notamment, le § h) « Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable » etc.
C’est oublier le critère énoncé au début de l’article « lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ».
Le §2 de l’article 7 précise même :
« 2. Aux fins du paragraphe 1 :
a) Par « attaque lancée contre une population civile », on entend le comportement qui consiste en la commission multiple d’actes visés au paragraphe 1 à l’encontre d’une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque »
En clair, il faudrait démontrer que les gilets jaunes sont systématiquement attaqués et que le gouvernement a pour objectif politique de les blesser.
Cela sera sans doute difficile, ainsi que l’affirme un spécialiste interrogé par CheckNews
Arte présente aussi un résumé.
Yaume